Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.
Au fil des réécritures, le projet derrière cette nouvelle est devenu plus clair : j’aimais cette association entre les corps célestes et les deux amants. Je voulais qu’on sente ce jeu entre les deux mondes jusqu’à la fin du texte, dans une dernière phrase qui l’aurait rappelé sans le nommer clairement.
Dans cette optique, je voulais que le texte se termine sur une liste d’objets que l’homme craint qu’elle n’oublie derrière elle : ses clefs, sa veste, son sac à mains. Mais je voulais, pour souligner une dernière fois la comparaison, ajouter à cette liste des objets qui s’écartent du réel de la femme, des objets qui tiendraient de sa composante « céleste », si on veut.
Je me suis vite rendu compte, toutefois, combien le vocabulaire céleste est soit si technique ou si précis qu’il est inutilisable dans un tel contexte, soit déjà associé à des réalités si proches du quotidien qu’on en oublie le sens astronomique.
Pour mieux expliquer ce que je veux dire, j’ai sorti quelques-unes des possibilités qui me sont venues en tête.
Je voulais une finale qui aurait ressemblé à :
« [tu t’assureras que je n’ai rien oublié, ni mes clefs, ni ma veste], ni [une composante céleste]. »
J’ai pensé, au début, revenir aux tempêtes dont la narratrice parle et qui ont cours sur Jupiter. Mais « Ni mes tempêtes » — comme « Ni ma pression » ou « Ni mes turbulences », d’ailleurs — allait dans une direction que je n’aimais pas, en laissant entendre que les deux amants avaient un passé tumultueux, alors que je voulais plutôt représenter une relation qui se termine sans éclats, d’une sorte d’épuisement prévisible (tout comme meurent les petites étoiles, qui n’explosent pas mais se tarissent; mais je n’avais pas vu cette comparaison avant de rédiger cette entrée… peut-être ajouterai-je ce détail à une prochaine réécriture?).
J’ai ensuite pensé aux « gaz » dont plusieurs planètes sont constituées. Mais voyez par vous-mêmes le côté hilarant d’une telle fin :
« [tu t’assureras que je n’ai rien oublié, ni mes clefs, ni ma veste], ni mes gaz. »
(Je le relis et j’en ris encore.)
J’ai alors pensé utiliser le nom d’un de ces gaz, mais « [tu t’assureras que je n’ai rien oublié, ni mes clefs, ni ma veste], ni mon hélium » sonnait si étrange à mes oreilles, donnait l’impression que la femme traînait avec elle une bombonne d’hélium…
J’ai fini par tenter le coup avec le mot « anneaux », qui sont à la fois le mot qu’on donne à des boucles d’oreilles ou à une bague et celui des cercles de roches et de poussières qui entourent certaines planètes, et le mot « chevelure », qui désigne à la fois les cheveux d’une personne et la longue traînée de poussière céleste qui se dégage d’une comète quand elle est réchauffée par une étoile.
Ainsi la fin devenait, en essence :
« [tu t’assureras que je n’ai rien oublié, ni mes clefs, ni ma veste], ni mes anneaux, ni ma chevelure. »
Sachant que ça risquait fort de ne pas être reçu comme je le voulais, j’ai quand même pris le risque de soumettre cette version à mes collègues. Pour tester son effet, bien sûr, mais aussi parce que j’espérais qu’elles aient une idée de génie pour régler mon problème.
Le retour que j’ai eu m’a fait rire au moins autant que ma tentative avec « gaz ». Valérie me répondait : « Donc elle porterait une perruque? Ai-je oublié un personnage qui en porte une? […] [M]ais pourquoi elle porte une perruque? Et pourquoi elle l’oublierait? »
(Je le relis et ici aussi, j’en ris encore.)
Elle avait compris « anneaux » seulement au sens de bijou, « chevelure » seulement au sens de cheveux. Je voulais des mots polysémiques, rappeler avec la fin le côté humain ET le côté « céleste » de la femme, mais c’était impossible : les lecteurs penseraient en premier au sens courant des termes, et la fin perdrait son sens.
J’ai donc opté pour une version intermédiaire. J’ai choisi deux mots relatifs aux corps célestes, dont le premier est clairement associé à l’astronomie, et le second seulement est polysémique. En plaçant ce second mot en dernier, j’avais espoir qu’il soit compris dans son sens astronomique par association (tout en conservant son deuxième sens potentiel). Ce qui donnait :
« [tu t’assureras que je n’ai rien oublié, ni mes clefs, ni ma veste], ni mes lunes, ni mes anneaux.
Mais là, c’est Camille qui n’était pas convaincue, trouvant que le mot « anneau » « sonnait mal » et envoyait l’esprit ailleurs, rappelait trop les anneaux d’un serpent.
Face à ce problème, je me serais sans doute résignée à changer complètement la fin (au sens de l’idée de la fin), même si je l’aimais beaucoup; après tout, il faut parfois couper même les passages qui nous sont les plus chers, pour le bien du texte. Mais le commentaire des filles était clair : la façon dont la fin était faite fonctionnait, et c’était beau. Le seul défi, ce serait de trouver le mot juste…
Au moment d’écrire cette entrée, je cherche encore.
L’avenir dira si je trouverai quelque chose qui convienne. Mais si ça n’est pas le cas et que je dois changer entièrement ma fin, je me console en me disant qu’il y aura dans cette entrée la trace d’un processus important, qui parle des limites du langage, du mot juste qui parfois n’existe simplement pas, de l’importance d’être relu par des gens qui ne pensent pas comme nous et de la nécessité, dans ce cas, de faire le deuil de passages qui nous tenaient à cœur.