La création fonctionne parfois ainsi : la version finale d’un texte n’a plus rien à voir, ou si peu, avec la version initiale. C’est certainement le cas pour ma nouvelle 6, dont je retrace l’évolution dans cette autre entrée [hypertexte].
Or, la question intéressante qui me semble ressortir de cette évolution, c’est encore une fois celle de l’espace ‒ au cœur de notre projet.
Ma nouvelle 6 est possiblement celle qui a été le plus ancrée, initialement, dans le territoire de la Pointe — mise à part la nouvelle 7, écrite par la suite —, en ce qu’elle s’est construite, initialement, à partir du club de golf réel. Jamais je n’avais écrit sur un golf; ce n’est pas le genre d’espaces vers lesquels mon écriture tend, habituellement. Or, voilà que me venait cette idée d’un fantôme du golf, idée directement issue du territoire.
Toutefois, comme je l’indique dans ma première entrée, les versions se sont enchaînées, le fantôme du golf est devenu le fantôme du restaurant, puis le fantôme de la maison bicentenaire. Je me suis éloignée progressivement de la Pointe, au fil des réécritures, au point où elle n’apparaissait plus qu’en arrière-plan, par une fenêtre, ou dans le vent. En travaillant encore et encore le texte, j’ai même fini par éliminer ces mentions, qui me semblaient, maintenant que je tenais le cœur du texte, devenues accessoires. J’ai ensuite soumis mon texte, dans cette version, à mes collègues.
Valérie a tout de suite relevé le problème : la Pointe n’apparaissait plus dans mon texte. Je l’avais, à force de réécritures, et sans trop me rendre compte, évacuée.
Or, cela posait un problème très intéressant, puisque l’espace, on se le rappelle, est au cœur de notre démarche de création.
Ma démarche, toutefois, ne dérogeait pas aux principes de base de notre projet : mon histoire était bel et bien née de la Pointe, s’était formée au contact du territoire réel, et avait évolué en fonction de lui. Mais, dans la version soumise au groupe, plus rien n’en restait.
Le problème n’était pas sans rappeler celui auquel j’avais fait face avec ma nouvelle 5 [hyperlien], mais la cause était tout autre : dans « Dire adieu », j’avais coupé les mentions au Bic par soucis de concision, c’était une question avant tout formelle; dans « Une femme à l’œuvre », la Pointe s’était évacuée naturellement du texte, de façon beaucoup plus intuitive, sans égard à un besoin extérieur d’élaguer quoi que ce soit.
La question se pose : pour respecter les principes de notre démarche, fallait-il, selon notre contrainte initiale, s’inspirer de la Pointe-aux-Anglais pour écrire, sans plus? Ou fallait-il aussi s’assurer une représentation de ladite Pointe dans les textes ainsi produits? En d’autres termes, dans quelle mesure la source de l’inspiration devait-elle demeurer dans le texte final?
Il m’a semblé évident que la Pointe devait apparaître dans la version finale du texte. Le travail de réintégration de la Pointe dans le texte en a été d’autant plus intéressant qu’il m’a poussée à requestionner les liens de mes « nouveaux » personnages avec le territoire : eux qui étaient nés, à force de mutations, de personnages directement ancrés dans le territoire, voilà qu’ils en avaient été détachés. Ce requestionnement a entraîné le texte sur d’autres pistes, donné au fantôme de la Vieille une histoire plus nourrie, qui, à son tour, alimente le reste de l’intrigue.
Ainsi, des éléments de la Pointe apparaissent dans ce texte comme dans tous les autres. Mais ils ne sont pas les mêmes que ceux qui ont lancé l’écriture, au départ. Pas du tout, même. La Pointe a généré l’écriture, puis s’est retirée du texte, avant d’y revenir, entièrement nouvelle. Comme une vague qui s’avance sur les traces de la précédente.
Et cette transformation, ce va-et-vient spatial, me fascine plus encore que le phénomène d’inspiration lui-même.