Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.
Le temps et le passage du temps reste une question fondamentale en littérature.
L’ordre de l’histoire et l’ordre du récit, la fréquence et la vitesse narrative, d’un point de vue narratologique, restent autant de décisions auxquelles s’attarde tout écrivain, du moins lors de la réécriture. Et que dire de notre obsession liée au temps qu’il fait dans le sens québécois de température ? Sans parler des temps qu’on compte dans le sens musical du terme, et par extension, du tempo donné par la musique, dans le cas précis de ma nouvelle – d’ailleurs, référer à une pièce précise, n’est-ce pas une belle façon implicite de faire passer le temps dans un texte ? Il y a aussi le temps de l’année, qui concerne la datation implicite, une information donnée au lecteur. Le rapport au temps de l’écrivain, et le temps pour écrire – une rareté pendant les trimestres d’automne et d’hiver, quand on enseigne. Mais le silence est souvent fertile. Ce temps de non-écriture et de latence permet aussi de prendre une distance avec l’écriture, de laisser les « mondes brefs » (Lahaie et. coll., 2009) prendre racine dans l’ombre. Comme germent les vivaces. Pour laisser resurgir l’été.
Plus concrètement, la date à laquelle on écrit peut-elle influencer le contenu du texte ? Et qu’en est-il de l’espace ?
« Dans les bras de Satie » s’est écrit en grande partie du 18 au 23 juin 2019 – en plein solstice d’été. Dès lors, le sujet s’est imposé de lui-même, hautement connoté, suggérant d’emblée l’intervalle. Mon texte se passe entre deux saisons; amène l’un des personnages d’un état à un autre, soit de la maladie à la mort; induit cette impression de brèche, dans le temps et dans l’espace.
C’était logique. Mon histoire allait se dérouler le 21 juin, très précisément, ce qui m’a amenée à faire des recherches : l’heure du coucher et du lever de soleil; l’heure des marées, cette année, à cette date, précisément – autant de détails qui deviendront des indices pour le lecteur perspicace ou curieux.
Un constat étonnant : la nuit la plus longue de l’année n’est même pas assez longue pour jouer Vexations, cette partition très lente qu’on répète en principe 840 fois. Que faire, dans ce cas ? Ma narratrice avait-elle à performer en suivant les indications de Satie à la lettre ? Pas nécessairement. L’important était qu’elle joue toute la nuit. Qu’elle accompagne le « passage ». Du crépuscule à l’aurore. De la vie à la mort.
Restait le piano. Détail non négligeable. Était-ce vraisemblable de faire déménager un piano sur la grève ? Je suis retournée sur les lieux pour vérifier concrètement. Et j’ai imaginé la chose.
L’idée est téméraire. Mais je crois que c’est possible – la chose se justifiait sans doute du fait que j’avais opté, dès le départ, pour un ton très onirique.
« Depuis, j’ai adopté votre chat.
Je retourne le nourrir régulièrement sur la grève et je songe à l’inviter chez moi, dans mon trois pièces et demie, à Rimouski, quand l’hiver sera venu.
Et chaque fois, entre les fausses notes de l’instrument livré aux intempéries et les miaulements plaintifs de celui que j’ai rebaptisé Jean-Baptiste Lully, je crois entendre votre dernier soupir, à répétition – et je joue, je joue, je joue, do dièse, la bémol, si pas tout à fait dièse, la bécarre, ré probablement bémol, fa devenu do, jusqu’à ce que votre fantôme vienne pincer sa lyre à la crête des vagues. » (Deslauriers, « Dans les bras de Satie », inédit)
Ma posture d’écrivaine qui privilégie la fiction l’a donc, encore une fois, emporté sur le réel. Mais, voilà. Je me dis qu’après tout, s’il existe des pianos de rue à Rimouski, pourquoi pas des pianos de grève au Bic ?
Certains éléments secondaires du récit – je pense au chat gris abandonné par le mort sur la grève; à l’allusion finale au fantôme – généreront peut-être de la matière potentielle en vue des prochains textes – en ce sens, la nouvelle « Dans la nuit noire », de Joanie, qui s’approche du néo-fantastique, m’avait donné des permissions. L’évocation d’un spectre, à la fin de ma nouvelle, viendrait-elle de cette brèche qu’elle a créée dans le travail collectif d’écriture ? Je ne peux l’affirmer de façon certaine, mais le processus inconscient est fascinant.
Du reste, l’espace que nous avons choisi est intrinsèquement et intimement lié au passage du temps – ne serait-ce que par l’accessibilité des lieux, lesquels varient en fonction des marées.

Après tout, le Bic n’est-il pas l’endroit de prédilection pour regarder les couchers de soleil du Bas-Saint-Laurent, voire l’incarnation flamboyante même de cette horloge quotidienne qui nous régit toutes et tous ?
– Camille Deslauriers
Définitivement, ta nouvelle et aussi celle de Joanie, ont ouvert pour moi la possibilité d’écrire dans un registre plus sombre, plus étrange et de construire un personnage que je concevrai (j’en parle dans mon carnet) comme un spectre, justement.
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Les spectres de la pointe. C’est une belle piste de composition. En lisant ta réflexion, j’ai eu l’envie de m’imprégner aussi de cette tonalité néo fantastique. Je vais tenter d’intérioriser cela pour un prochain texte.
En lisant ta nouvelle, je ne me suis jamais demandé s’il était réaliste d’amener un piano sur la plage. J’ai accepté le tableau, sans aucune résistance. Il allait de soi. 🙂
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