Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.
Parler d’écriture et de réécriture avec des complices-écrivaines : un privilège.
Créer en équipe est d’ailleurs l’un des aspects les plus fascinants de ce projet. Tantôt, les échanges se font en personne, tantôt, virtuellement.
J’ai d’abord discuté du texte en cours – ou plutôt, facetimé, pour utiliser un néologisme qu’on aime, entre nous – avec ma sœur d’encrier, Lynda Dion https://www.hamac.qc.ca/nos-auteurs/lynda-dion-477.html. Une fois que j’ai eu trouvé le ton du texte, elle m’a convaincue de lui lire mon premier jet. Une chose que je ne fais jamais. Mais cette fois, parce que je pataugeais, j’y ai consenti.
Ses commentaires ont été éclairants : on ne voit pas assez le piano dans le paysage. On veut voir le contraste entre la musique et le paysage de la pointe aux Anglais, puisque le lieu est votre principale contrainte d’écriture. La culture et la nature; l’art et l’eau. J’ai donc travaillé le texte pour « montrer » davantage (show don’t tell, répétait Hemingway et répétons-nous constamment à notre tour, en atelier d’écriture), en ajoutant une description – qui exacerbe l’atmosphère que je voulais camper.
« La scène était surréaliste.
On aurait dit un pastel de Léonore Fini.
Un antique piano roux se dressait dans les voiles du crépuscule rosé; un vieillard se confondait avec son fauteuil roulant, immobile devant la mer étale; un persan gris pâle au poil hirsute et aux yeux démesurés ronronnait sur ses genoux. Vos genoux. » (Deslauriers, « Dans les bras de Satie », inédit)
Puis, j’ai nommé les écueils liés à l’écriture de mon texte lors d’une pause café, chez moi, avec Joanie, membre de l’équipe du BREF qui demeure aussi à Rimouski. Ma hantise de revenir, encore une fois, à l’idée de noyade. L’idée d’un chat-passeur, qui resterait sur les genoux de l’homme en fauteuil roulant pendant toute la nuit, idée qui me rappelait la minuscule chatte grise, un peu hirsute, d’une ancienne collègue atteinte de la SLA, chargée de cours à l’Université de Sherbrooke, dans les années 2000. Car sa chatte l’accompagnait en classe, d’une part; de l’autre, c’était là une idée qui m’habitait, mais me paraissait redondante par rapport à mon autre projet d’écriture personnel en cours, le roman par nouvelles, Vieilles (titre de travail), où un chat-passeur pressent la mort et monte sur les résidentes d’une maison de retraite uniquement quand elles vont mourir… Le thème, toutefois, convenait à l’atmosphère que je souhaitais camper dans la nouvelle « Dans les bras de Satie », c’est-à-dire à la limite du poétique, de l’onirique et du surnaturel – une atmosphère qui rappellerait aussi les tableaux de Léonor Fini, l’une de mes sources d’inspiration. Alors : pourquoi se priver ?
De fauteuil roulant en fauteuil roulant, de digression en digression, de café en café, ce soir-là, pendant notre conversation, Joanie m’a de nouveau raconté cette anecdote de voyage qu’elle avait vécue il y a quelques années : pendant les Ateliers d’écriture de Muret, offerts par le Prix du Jeune Écrivain de langue française, elle et ses comparses d’ateliers avaient trouvé un mort dans un parc public – un homme affalé dans son fauteuil roulant – et les policiers ne les avaient pas crus quand ils avaient téléphoné aux services d’urgence français. Elle m’a aussi parlé de son désir d’écrire sur la nuit, un espace-temps que nous n’avions pas encore exploré dans le projet, lors de la rédaction de la nouvelle « Dans la nuit noire ».
Autant de mini détails d’une discussion entre complices qui peuvent – et qui se sont – cristallisés dans le texte en cours, comme des échos à notre conversation.
Enfin, ce conseil commun de mes deux amies, au sujet du piège de l’énumération, un tic d’écriture dont je dois me méfier dans tous mes textes depuis le recueil Les ovaires, l’hypothalamus et le cœur.
Oui, parler d’écriture et de réécriture avec des complices fait définitivement partie et fera dorénavant définitivement partie intégrante de mon processus créateur.
C’est par ailleurs un constat intéressant, pour la prof de création littéraire que je suis : après tout, c’est ce qu’on exige des étudiant.e.s en atelier, lors des discussions qui ont lieu pendant les critiques collectives. Aurais-je donc été, toutes ces années, une prof qui ne faisait pas elle-même ce qu’elle demandait aux autres ?
– Camille Deslauriers
Le regard de l’autre est pour moi une chose essentielle dans le travail d’écriture. Rares sont les fois où je n’en ai pas ressenti le besoin. Faire lire mon texte à une personne que j’estime, pour résoudre un problème ou encore pousser le texte plus loin, là où je n’aurais pas pu aller seule. Si c’est vrai, comme le disait entre autres Duras, que l’écriture exige la solitude, pour ma part, j’ai besoin de ce va-et-vient entre les séances de clavier, de ce ressourcement que je trouve dans le regard de l’autre. Ce besoin n’a pas toujours été là, mais je crois que je le ressens depuis le jour où j’ai, justement, suivi mon premier atelier d’écriture – avec toi, Camille. Une expérience qui a littéralement transformé mon rapport à l’écriture, de manière extrêmement positive.
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Ces fécondes relations d’écriture, le passage du vécu de l’une au texte de l’autre, le travail intersubjectif, les processus de captation, d’appropriation et d’interprétation de ce qui arrive, par exemple ce chat d’une collègue malade qui devient le chat-passeur, tout ça révèle à merveille l’inextricable allez-retour entre écriture et lecture autant du texte que de l’autre, que du monde.
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