Carnets poïétiques - Ce que je sais des berges

« La ménagerie de roc » – De l’art d’être « habitée »

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Déjà, en 1990, à l’époque de mes études au baccalauréat en études françaises à l’Université du Québec à Trois-Rivières, une chargée de cours nommée Jeanne Morin, avec qui j’avais suivi quelques ateliers d’écriture, en parlant de moi, avait dit à un collègue étudiant : Camille, elle est habitée. Il m’avait alors rapporté ces paroles qui constituaient, de son point de vue de poète, un « compliment ». 

À l’époque, je n’avais pas été surprise de la description qu’elle faisait de moi. Intimidée, oui. Étonnée, non.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été habitée. Enfant, par des ami.e.s imaginaires; par cette petite sœur Rosaline que j’ai tant espérée, puis attendue; par le destin de nos poupées Barbie – une histoire qui se continuait à deux, jour après jour et séance après séance, comme une saga, pendant des années. Ces jeux ont duré jusqu’à ce que j’aie treize ans et ils ont, j’en suis certaine, forgé mon imaginaire. Ensuite, à l’adolescence, il y a eu des personnages – les miens et ceux des autres écrivain.e.s; des amours imaginaires; des groupes musicaux fétiches dont j’avais vraiment l’impression de connaître les membres; et déjà, des phrases ou des mots qui m’obsédaient, aussi.

Être habitée. 

Encore aujourd’hui, je ne vois pas comment vivre autrement qu’en me laissant habiter, qu’en me donnant la permission de divaguer. « En regardant ailleurs pour arriver à écrire », comme le confie Élise Turcotte dans le fragment « Errance », tiré d’un essai poétique auquel je reviens sans cesse, Autobiographie de l’esprit :

« J’ai besoin de cette distraction, qui n’est pas le contraire de la concentration – elle est son complément. Je me concentre sur ce que je fais, et puis je dévie. La honte que j’ai ressentie à être ainsi.

Lundi midi, je me lave de la souris séchée, trouvée derrière le frigidaire. Pendant des jours, l’idée de la souris morte est là et me gruge.

Un autre jour, il y a le mot « parpaings ». Cet impitoyable mot de morts non morts, de vie non finie.

Et puis le mot « orvet » que j’attrape dans un roman d’Herta Müller – ce mot, ce serpent de verre.

Serpents souris limaces ciment.

(…)

Je pense à ce nouveau manuscrit et le poumon se met à respirer dans mon petit bureau.

(…)

Où sont mes chats ?

Je suis sans cesse préoccupée par mes chats, surtout l’été. Enfin, pas tout le temps, mais trop intensément. Ils sortent dehors, ils s’enfuient, emportant ma raison avec eux. Quand ils reviennent, je me détends, comme une mère attachée à un fil. Mais peut-être qu’ils me distraient simplement de mon travail, qu’ils me permettent d’être en vie, d’habiter en animal ma maison. » (p. 61-62)

Laisser l’esprit vagabonder, faire autre chose, voire « glander trois heures par jour », comme le prescrivait Michel Hindenoch dans une formation au contage à laquelle j’avais assisté, c’est aussi écrire. On laisse ainsi les personnages évoluer dans l’ombre. 

Écouter de la musique. Coiffer les chats. Cuisiner un repas indien.

Glander comme Yehudi Menuhin, l’un de mes cinq chats.
Crédit photo : Camille Deslauriers

Aller flâner à la Pointe ou au Rocher blanc. S’octroyer un roupillon en plein après-midi. Avoir par moments l’impression de perdre son temps – alors qu’on n’a que l’été pour écrire. Pendant tout ce temps, être hantée, obsédée par ces certitudes : vouloir écrire sur cette ménagerie de roc qu’on a photographiée dès les premières sorties géopoétiques et se dire que, chaque jour, « quelqu’un » va s’occuper du cheval rose et roux à deux têtes et du corbeau impressionniste

La ménagerie de roc.
Crédit photo : Camille Deslauriers

Et un matin, pendant la lessive, soudain, savoir « qui » va prendre soin des animaux mythiques et entendre, clairement, dans ma tête, l’incipit de la nouvelle, sans doute inspiré par les sanguines que l’artiste a utilisées pour reproduire l’oiseau sur une roche :

« Les grottes de Lascaux sont au Bic, m’a-t-elle révélé, un midi, au retour de sa marche.

Chaque fois, ma sœur Régine revient de la Pointe comme on revient de voyage. »

– Camille Deslauriers

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