Carnets poïétiques - Ce que je sais des berges

« Une femme à l’œuvre » – Côtoyer les fantômes

Fin septembre 2020. Camille Deslauriers obtient pour le BREF une résidence d’écriture à la Maison d’Ariane, à Métis-sur-Mer. En découvrant les lieux, l’une d’entre nous ‒ je ne me souviens plus laquelle ‒ remarque que les chambres portent des écriteaux. Sur une porte, on lit « Chambre de Mireille ».

Je raconte de mémoire, parce que mes notes ne sont pas précises du tout. Je suis tout de suite plongée dans un texte : c’est une petite fille qui parle à sa grand-mère décédée, lui disant qu’elle la voit partout et que c’est à la fois étrange et rassurant.

Dans mon esprit, l’association s’est faite tout de suite : si un nom apparaît dans une maison ancienne, c’est que la personne est décédée, et donc il y a possibilité de fantôme. J’ai appris plus tard que j’avais tort : la femme en question est toujours bien vivante. Mais j’étais lancée sur cette idée de grand-mère morte et je voulais continuer à explorer l’idée.

Avant longtemps, toutefois, une vieille idée est remontée. Je dis vieille, mais elle n’était pas si vieille que d’autres dont j’ai parfois parlé sur ce blog, traînées pendant des années. Elle datait, en fait, du tout début du projet du BREF. C’était, si mon souvenir est bon, la toute première idée que j’avais eue, et que j’avais rapidement rejetée.

Quand nous avons décidé d’écrire sur la Pointe-aux-Anglais, j’ai pensé un moment « utiliser » le club de golf, situé sur la route menant à la Pointe. J’avais en tête une histoire de fantôme de joueur ‒ le club de golf existe depuis 1932, c’était « plausible ». Le fantôme aurait été un excellent joueur de son vivant qui serait resté sur les lieux après sa mort, et serait devenu une attraction. En effet, mon idée était de faire un texte joyeux, presque comique, où des gens venaient de partout pour parfaire leur technique auprès de cet habile fantôme capable, en sa qualité d’esprit sans réelle consistance physique, de se fondre au corps des joueurs pour leur enseigner la posture idéale.

Je n’ai pas écrit une seule ligne de cette histoire (enfin, il me semble… je retrouve parfois dans des cahiers des textes entiers que je n’ai pas le souvenir d’avoir écrit, alors je ne jurerais pas; mais c’est le sujet d’une autre réflexion). Je me suis lancée dans mon texte d’extraterrestres (devenue ma première nouvelle pour le projet) et j’ai oublié mon golfeur.

Plus tard, l’idée m’est revenue, transformée : ce ne serait pas un golfeur élite qui enseignerait aux vivants comment jouer, mais bien un chef qui aurait tout appris de la cuisine ancestrale après d’une vieille tenancière d’auberge morte sur les lieux de son restaurant. Mais la réputation culinaire du Bic n’est plus à faire, dans le monde réel, et je me sentais très peu à l’aise de laisser entendre qu’une manière de trucage, si fantastique et si fictif soit-il, puisse être à l’origine de ces réussites. Notre Pointe-aux-Anglais était encore très proche de la Pointe réelle, et si je voulais représenter l’espace tel quel, je ne voulais surtout pas qu’on pense que j’intégrais dans mes nouvelles des personnes existant véritablement.

J’ai donc repoussé cette idée aussi.

Mais voilà : en résidence, j’ai commencé à écrire sur une grand-mère morte  et l’idée de cette première histoire de fantôme mentor est remontée. Cette fois, le fantôme n’était ni spécialiste du golf, ni spécialiste de la cuisine. Il était celui d’une grand-mère qui avait appris à cuisiner pour nourrir sa famille, avec imperfection mais avec amour et dévouement. Et la personne qui tirerait profit de son enseignement ne serait ni un touriste curieux, ni un chef cachottier de ses trucs, mais bien une femme simple, débutante et maladroite, qui n’a jamais réussi une tarte.

Ainsi la résidence a permis moins de faire jaillir une nouvelle idée que de donner une nouvelle forme à une idée préexistante… comme c’est souvent le cas dans mon travail.

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« Le carré de sable d’Arnaud » – Échos et contraintes

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Certain.e.s écrivain.e.s produisent bien sous contraintes – je pense à Christiane Lahaie ou à Hugues Corriveau, par exemple. C’est aussi mon cas. Ainsi, ma dernière nouvelle du recueil collectif s’est écrite à partir de deux contraintes d’écriture extérieures au projet du BREF (un défi et une expression consacrée), d’une part; de l’autre, elle s’est bâtie en écho à certains textes du recueil en cours.

L’idée d’explorer l’enfance est d’abord venue d’un défi lancé par ma sœur Rosaline, avec qui je discutais souvent du volet création du BREF. Elle m’incitait à créer « un petit garçon différent. Un gamin surdoué avec huit orteils et qui joue du piano à la Pointe », précisait-elle en riant. 

Les orteils supplémentaires sont disparus. La douance et les leçons de piano sont restées. Arnaud et son carré de sable démesuré semblaient tout indiqués pour me permettre d’explorer cette voie. 

Pensée en arborescence, hypersensibilité, soif d’apprendre, créativité exacerbée, altruisme, capacité à suivre une conversation en faisant autre chose, langage plus élaboré que celui des enfants de son âge, facilité à justifier ses comportements a posteriori, sentiment d’être incompris : autant de caractéristiques qui se sont spontanément greffées à la personnalité de mon personnage et qui correspondent bien à la douance. Bien entendu, j’ai fait des recherches. Mais déjà, pour moi, ce prénom qui m’avait été donné par une confidence entendue dans la bouche d’une maman lors d’une sortie géopoétique à la Pointe – Arnaud, un prénom que j’aimais beaucoup et, somme toute, assez rare – connotait une personnalité peu commune.

https://www.linternaute.fr/expression/langue-francaise/151/au-pied-de-la-lettre/

L’expression « au pied de la lettre » s’est ensuite imposée et a structuré tout le texte – car Arnaud, justement, avec son imagination débridée, interprète les événements de façon imagée ou littéralement au sens premier :

Sa sœur prétend qu’il prend tout au pied de lettre. Sa sœur, avec ses albums qu’elle traîne partout même à la plage, elle pense connaître le monde comme si elle était une encyclopédie. Mais de quelle lettre parle-t-elle au juste, le A ou le M ou le T, allez donc savoir. Certaines ont un pied, d’autres deux. Comment elle se débrouille, au juste, la lettre, pour se chausser comme un cordonnier, ça, c’est une autre histoire et elle doit être compliquée puisque les souliers se vendent par paires. Une chose reste certaine : le pied de la lettre, il porte des onze. Comme son père et son oncle (…). 

J’ai alors cherché, dans le « personnel du recueil » en cours et en respectant notre ligne du temps, qui pourrait être la sœur d’Arnaud. J’ai opté pour Brigitte, un personnage de jeune lectrice avide créé auparavant par Joanie (« Dans la peau », vous pouvez lire le résumé de la nouvelle ici).

Mais qui seraient les parents d’Arnaud ? Alain (le principal figurant qu’on suit pendant le tournage du film inspiré de la Pointe, dans la nouvelle « Tomber », vous pouvez lire le résumé de la nouvelle ici) et sa femme Céline me semblaient tout désignés. J’avais besoin d’une famille parfaite. Un peu trop, si on se fie aux pensées d’Arnaud. 

Les seuls malheurs, chez lui, ressemblent à des chemises devenues étroites parce qu’on a maintenant une bedaine de bière – et ça devient un drame parce qu’on doit jouer avec dans un film. D’une chose à l’autre, comme le film convoquait aussi Régine (un personnage de femme-enfant qui revenait déjà dans deux de mes propres nouvelles et que j’avoue aimer beaucoup), cette dernière est devenue leur voisine, qu’il surnomme la Femme-Libellule, parce qu’il a toujours su qu’elle avait des ailes. De même, Élise, la pianiste à contrat qui avait joué pour Paul-Émile, dans la nouvelle « Dans les bras de Satie » (vous pouvez lire le résumé de la nouvelle ici), est naturellement devenue sa professeure de piano.

Restait à trouver quel serait le rapport d’Arnaud aux créatures de bois d’échouerie (voir mon entrée précédente, « Le carré de sable d’Arnaud »). Ces « monstres » sont devenus ses Gueules de Bois, des êtres qui, de son point de vue, résideraient au fond des mers :

En tant que médecin-pirate, Arnaud doit les sauver pour qu’elles puissent repartir dans leur monde. Avec leur peau trop lisse et trop terne, elles pourraient attraper le cancer. Elles restent couchées toute la journée au soleil, sur leur civière ensablée, sans leurs chapeaux, même pendant la canicule. Alors tous les matins, avant que ses parents se lèvent, il vient leur mettre de la crème solaire pour ne pas qu’elles brûlent. Sa mère lui demande s’il en mange ou quoi, pourquoi il finit tous les tubes comme ça, les uns après les autres, est-ce qu’il les perd ou les prête à des amis ? « Au prix que ça coûte, franchement, il ne faudrait pas abuser non plus, c’est pas donné, la crème solaire à soixante FPS », mais Arnaud n’avouera jamais qu’il s’agit d’un onguent magique. Le seul qui peut sauver ses Gueules de Bois.

Crédits photographiques : Rosaline Deslauriers

Enfin, si quelqu’un pouvait trouver le corps d’un noyé échoué sur les berges, dans notre recueil, c’était bien Arnaud, qui se réfugie régulièrement à la Pointe et qui est une fouine, sa sœur n’arrête pas de le répéter :

Arnaud a découvert un Mort.

Personne ne sait et personne ne saura. De toute façon, on ne le croirait pas. 

Il va dormir, une vraie bûche, à huit heures du soir, comme d’habitude, même si le soleil, en juillet, peut veiller plus tard que lui.

Après son bain, pour oublier les noyés qui se putréfient sur la grève, il demandera à son père de lui raconter encore comment il a obtenu un rôle dans le film. Celui où la Femme-Libellule s’est envolée.

Entre le défi initial qu’on m’avait imposé, les contraintes et l’intratextualité, Arnaud s’est incarné. Quand j’ai écrit et quand j’ai retravaillé le texte, il m’a fait beaucoup rire – notamment dans cette envolée :

Il a quand même hâte de le revoir pour une septième fois, le film dans lequel son père porte une chemise démodée, même si sa tante dit qu’Alain « n’est plus le même depuis qu’il a été figurant. Il fait son frais chié », qu’elle a déclaré en riant, l’autre soir autour du feu, entre les gorgées de rosé et les bouteilles qui se transformaient en flûte. Tout de suite, Arnaud a imaginé son père en forme de caca de chien. Son père a glissé, brun et mou et malodorant, crotte fraîchement moulue entre les poils du trou de pet du berger allemand abandonné qui rôde à la Pointe, celui que plus personne ne nourrit, maintenant que leur voisine, la Femme-Libellule, est disparue.

Crédits photographiques : Camille Deslauriers

Un détail en déclenchant un autre comme dans une réaction en chaîne, après avoir écrit cette scène, j’ai donc décidé d’utiliser le chien que j’avais rencontré lors de ma toute première sortie géopoétique, quand nous avions découvert la première crique, l’équipe du BREF et moi. Arnaud, dans sa grande générosité et dans sa volonté mégalomane, en plus de s’occuper des Gueules de Bois, adopterait le chien errant que nourrissait Régine à La Pointe et qu’il appelle maintenant Bartók.

– Camille Deslauriers

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« Le carré de sable d’Arnaud »

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Il suffit parfois d’une réplique entendue à la fin d’une sortie sur le terrain pour déclencher le texte. 

Juillet 2021. Ma déambulation prend fin et je n’ai que des notes et des photos – beaucoup de photos : une vingtaine de troncs et de souches échoués sur le sable comme autant d’animaux monstrueux. 

J’ai toujours été fascinée par le bois d’échouerie. 

En plongée, en contre-plongée. En gros plans, presque fondues dans le paysage, comme si elles rampaient sur le sable : partout, des créatures aux cornes de bois tordu qui ont des airs de reptiles égarés et des grandes gueules d’écorce.

Dans mon texte, il y aura des monstres. Je n’en sais pas plus. Or, il faudra pourtant écrire ma nouvelle sous peu – ma septième et dernière – en vue du prochain cabaret littéraire et musical aux Jardins de Métis qui se tiendra en août 2021. Et je serai encore à la dernière minute.

Au moins, j’ai ma première piste d’écriture. Ma nouvelle mettra en scène un enfant fasciné par les monstres qui vivent à la Pointe.

Crédits photographiques : Camille Deslauriers

Soudain, j’entends : « En fin de semaine, mes beaux-parents sont venus faire le carré de sable d’Arnaud. » 

Quoi de plus banal que deux mères qui discutent, assises sur une grande couverture, à la plage, pendant que leurs enfants pataugent dans l’eau, en plein mois de juillet ? Pourtant, quand on regarde la scène de loin, c’est frappant. Les enfants tout petits; la plage immense; les monstres. Et une phrase se met à tourner, tourner dans ma tête comme un colibri fou : « Le carré de sable d’Arnaud est aussi grand que la mer. »

Je le sais illico : j’ai mon incipit. 

Arnaud et son carré de sable : j’ai mon personnage et son lieu, un repaire secret où il pourrait se réfugier. Reste à trouver qui est mon Arnaud et à quels autres personnages du recueil collectif en cours il pourrait se raccrocher.

– Camille Deslauriers

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« Sur le rocher » – La présence des autres

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Il arrive parfois qu’un moteur d’écriture, un déclencheur – autrement dit, une idée « utile » à l’écriture – finisse par devenir encombrant, en cours de création. C’est ce qui est arrivé avec l’image de Régine qui voulait photographier le vent, tirée d’un texte de Camille; une image qui m’avait aidée à trouver le nœud de ma nouvelle, mais qui s’est avéré un frein à la compréhension.

Lorsque j’avais décidé que ma narratrice allait aussi tenter de photographier le vent, je m’étais posé la question : pourquoi un tel projet? La réponse qui avait émergé, c’était qu’elle essayait de fixer, sur pellicule, l’absence récente de ses parents décédés – une absence qu’elle retrouvait partout dans l’album, qui ne comportait aucune photo d’eux. Au fond, le vent devenait une sorte de métaphore de leur départ, de leur disparition. Cela s’est traduit, dans le premier jet de mon texte, par cette phrase finale : « Avec la dernière pose, immortaliser le vent de la Pointe. »

Lorsque j’ai lu les commentaires de ma collègue Joanie à propos de cette première version, j’ai bien vu qu’il y avait confusion. Le lien entre les parents et le vent n’était pas clair. J’ai cru que le problème se situait en amont; que j’avais mal « préparé » la dernière image. J’ai modifié le texte, j’en ai fait une, deux, trois, quatre nouvelles versions avant de trouver quelque chose qui semblait fonctionner – toujours en conservant la phrase finale. Mais quand Joanie a commenté à nouveau mon texte et qu’elle m’a fait remarquer que la même confusion persistait, j’ai compris qu’en fait, c’était cette phrase, le problème.

A posteriori, je le vois bien. La phrase, au fond, était séduisante; l’image qu’elle convoquait, qui s’était imprimée en moi à la lecture du texte de Camille, était belle. Seulement, elle était détachée du récit que je faisais. Le lien n’existait que dans ma tête. Pourtant, lorsque j’étais dans l’écriture, complètement immergée dans mon texte, je m’accrochais à cette phrase. Je ne sais pas exactement pourquoi. Peut-être parce qu’elle me paraissait d’une telle évidence que je ne pensais pas qu’on ait pu la mettre en question. Peut-être parce que je l’aimais, tout simplement, et que je ne voulais pas m’en départir. Peut-être les deux.

Peu importe, au fond. J’ai compris, j’ai changé la fin – mais après combien de tâtonnements!

Dans son troisième commentaire de mon texte, Joanie m’a confirmé que cette fois, ça y était presque. Elle m’a fait une suggestion qui m’a plu, et je m’en suis servi pour reconstruire la phrase qui clôt maintenant ma nouvelle.

La solitude de l’écriture

Dire que l’écriture est un exercice de solitude relève presque du cliché. De plus, même si cette affirmation comporte une certaine part de vérité, des projets de création comme celui que nous menons au BREF tendent à la faire mentir.

Bien entendu, il n’est pas rare qu’en tant qu’écriv·ain·e, nous recourrions au regard d’un premier lecteur ou d’une première lectrice. Par contre, rares sont les occasions où cette personne est autant immergée que nous dans le projet; où les commentaires qu’elle fera sur notre texte auront, éventuellement, des répercussions sur ceux qu’elle écrira elle-même plus tard. Rares aussi sont les occasions de « contamination » mutuelle (du moins, à cette échelle) entre des textes et, même, entre des univers. Cette influence de mes collègues du BREF, je la perçois à chaque étape du processus de création : lorsque je cherche une nouvelle idée pour un texte, lorsque je me demande comment la raccrocher à notre projet, lorsque je retravaille le texte à l’aune de leurs commentaires. Et cela sera d’autant plus palpable lorsque nous nous rencontrerons toutes les trois, une fois l’écriture terminée, pour discuter de la mise en recueil, et en particulier des modifications à effectuer dans certains textes pour assurer une cohérence d’ensemble. Au final, lorsque je relirai chacun de mes textes, je saurai que je ne les aurai pas écrits seule. Et qu’en chacun d’eux, même si cela passe inaperçu, se trouvent les traces de la présence de Camille et Joanie.

– Valérie Provost

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« Sur le rocher » – La photo

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Lorsqu’il a été temps d’écrire ma quatrième nouvelle pour le BREF, j’étais à court d’idées – et de temps. La précédente avait été très difficile et très longue à écrire, et j’avais l’impression de ne pas avoir eu l’occasion de reprendre mon souffle depuis. Je me sentais vide. L’idée de devoir repartir à zéro, d’inventer une histoire et des personnages de toute pièce me décourageait.

Durant cette période, j’étais aussi, en parallèle, plongée dans le projet de création que je mène dans le cadre de ma thèse de doctorat. En prévision d’un texte sur ma grand-mère, j’avais demandé à ma mère de me prêter les photos de famille qu’elle garde dans une grande boîte de rangement en plastique. Pendant quelques jours, j’avais observé et classé les centaines de clichés qu’elle contenait. J’étais complètement immergée dans les traces de mon histoire familiale, avec tous les personnages qu’elle contenait. Cela rendait d’autant plus difficile l’idée de replonger dans l’univers du BREF.

Plutôt que de me battre contre cette difficulté, j’ai décidé de m’en servir. Si ma tête se refusait à sortir de la boîte de photos, j’allais y puiser l’inspiration pour mon texte.

J’ai retrouvé une de mes photos préférées, qui me montre debout sur une grosse roche, sur le terrain d’un chalet qui, me semble-t-il, appartenait à une amie de la famille. Entre mes doigts, un serpent en peluche que je ne me souviens pas avoir vu ailleurs. Je ne sais pas pourquoi j’aime autant cette photo, mais je me souviens l’avoir souvent regardée, quand j’étais plus jeune et que je fouillais dans les souvenirs que ma mère conservait dans sa chambre.

La photo.

De cette photo est née l’idée d’un personnage qui feuillette un album familial. La roche de la photo est devenue un des rochers de la Pointe-aux-Anglais. Il me restait maintenant à imaginer ce qui se passait autour de la photo.

Photographier le vent

Le texte de Camille intitulé « La ménagerie de roc » ainsi que son personnage de Régine m’avaient beaucoup émue. J’y voyais un personnage complexe, empreint d’une sensibilité extraordinaire. Je suis allée le relire dans les premiers jours de l’écriture de ma nouvelle, espérant y trouver une manière de raccrocher mon texte à la Pointe que nous étions en train de construire dans le cadre du BREF.

Un extrait, en particulier, m’a marquée :

« Une nuit, Régine a voulu photographier le vent. »

Les questions que posait cette phrase et la poésie que cette image folle convoquait se sont imprégnées dans mon écriture. Ma narratrice aussi voudrait photographier le vent : saisir ce qui échappe à la photo, ce qui ne peut pas être fixé. Ce qui ne reste pas. Et pour moi, cette perte, évidemment, c’était les parents.

– Valérie Provost