Carnets poïétiques - Ce que je sais des berges

« Le carré de sable d’Arnaud »

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Il suffit parfois d’une réplique entendue à la fin d’une sortie sur le terrain pour déclencher le texte. 

Juillet 2021. Ma déambulation prend fin et je n’ai que des notes et des photos – beaucoup de photos : une vingtaine de troncs et de souches échoués sur le sable comme autant d’animaux monstrueux. 

J’ai toujours été fascinée par le bois d’échouerie. 

En plongée, en contre-plongée. En gros plans, presque fondues dans le paysage, comme si elles rampaient sur le sable : partout, des créatures aux cornes de bois tordu qui ont des airs de reptiles égarés et des grandes gueules d’écorce.

Dans mon texte, il y aura des monstres. Je n’en sais pas plus. Or, il faudra pourtant écrire ma nouvelle sous peu – ma septième et dernière – en vue du prochain cabaret littéraire et musical aux Jardins de Métis qui se tiendra en août 2021. Et je serai encore à la dernière minute.

Au moins, j’ai ma première piste d’écriture. Ma nouvelle mettra en scène un enfant fasciné par les monstres qui vivent à la Pointe.

Crédits photographiques : Camille Deslauriers

Soudain, j’entends : « En fin de semaine, mes beaux-parents sont venus faire le carré de sable d’Arnaud. » 

Quoi de plus banal que deux mères qui discutent, assises sur une grande couverture, à la plage, pendant que leurs enfants pataugent dans l’eau, en plein mois de juillet ? Pourtant, quand on regarde la scène de loin, c’est frappant. Les enfants tout petits; la plage immense; les monstres. Et une phrase se met à tourner, tourner dans ma tête comme un colibri fou : « Le carré de sable d’Arnaud est aussi grand que la mer. »

Je le sais illico : j’ai mon incipit. 

Arnaud et son carré de sable : j’ai mon personnage et son lieu, un repaire secret où il pourrait se réfugier. Reste à trouver qui est mon Arnaud et à quels autres personnages du recueil collectif en cours il pourrait se raccrocher.

– Camille Deslauriers

Carnets poïétiques - Ce que je sais des berges

« Sur le rocher » – La présence des autres

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Il arrive parfois qu’un moteur d’écriture, un déclencheur – autrement dit, une idée « utile » à l’écriture – finisse par devenir encombrant, en cours de création. C’est ce qui est arrivé avec l’image de Régine qui voulait photographier le vent, tirée d’un texte de Camille; une image qui m’avait aidée à trouver le nœud de ma nouvelle, mais qui s’est avéré un frein à la compréhension.

Lorsque j’avais décidé que ma narratrice allait aussi tenter de photographier le vent, je m’étais posé la question : pourquoi un tel projet? La réponse qui avait émergé, c’était qu’elle essayait de fixer, sur pellicule, l’absence récente de ses parents décédés – une absence qu’elle retrouvait partout dans l’album, qui ne comportait aucune photo d’eux. Au fond, le vent devenait une sorte de métaphore de leur départ, de leur disparition. Cela s’est traduit, dans le premier jet de mon texte, par cette phrase finale : « Avec la dernière pose, immortaliser le vent de la Pointe. »

Lorsque j’ai lu les commentaires de ma collègue Joanie à propos de cette première version, j’ai bien vu qu’il y avait confusion. Le lien entre les parents et le vent n’était pas clair. J’ai cru que le problème se situait en amont; que j’avais mal « préparé » la dernière image. J’ai modifié le texte, j’en ai fait une, deux, trois, quatre nouvelles versions avant de trouver quelque chose qui semblait fonctionner – toujours en conservant la phrase finale. Mais quand Joanie a commenté à nouveau mon texte et qu’elle m’a fait remarquer que la même confusion persistait, j’ai compris qu’en fait, c’était cette phrase, le problème.

A posteriori, je le vois bien. La phrase, au fond, était séduisante; l’image qu’elle convoquait, qui s’était imprimée en moi à la lecture du texte de Camille, était belle. Seulement, elle était détachée du récit que je faisais. Le lien n’existait que dans ma tête. Pourtant, lorsque j’étais dans l’écriture, complètement immergée dans mon texte, je m’accrochais à cette phrase. Je ne sais pas exactement pourquoi. Peut-être parce qu’elle me paraissait d’une telle évidence que je ne pensais pas qu’on ait pu la mettre en question. Peut-être parce que je l’aimais, tout simplement, et que je ne voulais pas m’en départir. Peut-être les deux.

Peu importe, au fond. J’ai compris, j’ai changé la fin – mais après combien de tâtonnements!

Dans son troisième commentaire de mon texte, Joanie m’a confirmé que cette fois, ça y était presque. Elle m’a fait une suggestion qui m’a plu, et je m’en suis servi pour reconstruire la phrase qui clôt maintenant ma nouvelle.

La solitude de l’écriture

Dire que l’écriture est un exercice de solitude relève presque du cliché. De plus, même si cette affirmation comporte une certaine part de vérité, des projets de création comme celui que nous menons au BREF tendent à la faire mentir.

Bien entendu, il n’est pas rare qu’en tant qu’écriv·ain·e, nous recourrions au regard d’un premier lecteur ou d’une première lectrice. Par contre, rares sont les occasions où cette personne est autant immergée que nous dans le projet; où les commentaires qu’elle fera sur notre texte auront, éventuellement, des répercussions sur ceux qu’elle écrira elle-même plus tard. Rares aussi sont les occasions de « contamination » mutuelle (du moins, à cette échelle) entre des textes et, même, entre des univers. Cette influence de mes collègues du BREF, je la perçois à chaque étape du processus de création : lorsque je cherche une nouvelle idée pour un texte, lorsque je me demande comment la raccrocher à notre projet, lorsque je retravaille le texte à l’aune de leurs commentaires. Et cela sera d’autant plus palpable lorsque nous nous rencontrerons toutes les trois, une fois l’écriture terminée, pour discuter de la mise en recueil, et en particulier des modifications à effectuer dans certains textes pour assurer une cohérence d’ensemble. Au final, lorsque je relirai chacun de mes textes, je saurai que je ne les aurai pas écrits seule. Et qu’en chacun d’eux, même si cela passe inaperçu, se trouvent les traces de la présence de Camille et Joanie.

– Valérie Provost

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« Sur le rocher » – La photo

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Lorsqu’il a été temps d’écrire ma quatrième nouvelle pour le BREF, j’étais à court d’idées – et de temps. La précédente avait été très difficile et très longue à écrire, et j’avais l’impression de ne pas avoir eu l’occasion de reprendre mon souffle depuis. Je me sentais vide. L’idée de devoir repartir à zéro, d’inventer une histoire et des personnages de toute pièce me décourageait.

Durant cette période, j’étais aussi, en parallèle, plongée dans le projet de création que je mène dans le cadre de ma thèse de doctorat. En prévision d’un texte sur ma grand-mère, j’avais demandé à ma mère de me prêter les photos de famille qu’elle garde dans une grande boîte de rangement en plastique. Pendant quelques jours, j’avais observé et classé les centaines de clichés qu’elle contenait. J’étais complètement immergée dans les traces de mon histoire familiale, avec tous les personnages qu’elle contenait. Cela rendait d’autant plus difficile l’idée de replonger dans l’univers du BREF.

Plutôt que de me battre contre cette difficulté, j’ai décidé de m’en servir. Si ma tête se refusait à sortir de la boîte de photos, j’allais y puiser l’inspiration pour mon texte.

J’ai retrouvé une de mes photos préférées, qui me montre debout sur une grosse roche, sur le terrain d’un chalet qui, me semble-t-il, appartenait à une amie de la famille. Entre mes doigts, un serpent en peluche que je ne me souviens pas avoir vu ailleurs. Je ne sais pas pourquoi j’aime autant cette photo, mais je me souviens l’avoir souvent regardée, quand j’étais plus jeune et que je fouillais dans les souvenirs que ma mère conservait dans sa chambre.

La photo.

De cette photo est née l’idée d’un personnage qui feuillette un album familial. La roche de la photo est devenue un des rochers de la Pointe-aux-Anglais. Il me restait maintenant à imaginer ce qui se passait autour de la photo.

Photographier le vent

Le texte de Camille intitulé « La ménagerie de roc » ainsi que son personnage de Régine m’avaient beaucoup émue. J’y voyais un personnage complexe, empreint d’une sensibilité extraordinaire. Je suis allée le relire dans les premiers jours de l’écriture de ma nouvelle, espérant y trouver une manière de raccrocher mon texte à la Pointe que nous étions en train de construire dans le cadre du BREF.

Un extrait, en particulier, m’a marquée :

« Une nuit, Régine a voulu photographier le vent. »

Les questions que posait cette phrase et la poésie que cette image folle convoquait se sont imprégnées dans mon écriture. Ma narratrice aussi voudrait photographier le vent : saisir ce qui échappe à la photo, ce qui ne peut pas être fixé. Ce qui ne reste pas. Et pour moi, cette perte, évidemment, c’était les parents.

– Valérie Provost

Carnets poïétiques - Ce que je sais des berges

« Banquise » – Écrire au nous

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Quand j’ai commencé l’écriture de ce texte, je lisais le recueil de notre collègue Annie Landreville, Date de péremption. Le livre au complet m’a happée, mais un poème en particulier m’a émue, et plus précisément les deux derniers vers :

« il n’y aura plus personne
pour savoir que nous ne sommes plus là »

Si le nous du poème a une portée beaucoup plus large que celle de mon texte, sa lecture a tout de même constitué un point important dans mon processus d’écriture.

D’abord, l’anéantissement qu’évoque le poème d’Annie (celui de l’humanité, du monde tel qu’on le connaît) fait en effet surgir en moi des impressions similaires à celles qui se sont imposées lorsque j’ai commencé à penser à la pêche sur glace au Bic. L’amoncellement des cabanes dans le paysage glacé de la baie, sans personne autour qui marche ou qui pêche à l’extérieur, me donnait immanquablement un sentiment de fin du monde, que ce soit lors de mon passage en voiture ou lorsque j’ai étudié des photos (notamment celle prise par notre collègue Françoise Picard-Cloutier, que l’on peut voir dans mon billet précédent). Ce néant, me semblait-il, pouvait se rapprocher de l’expérience des pêcheurs et pêcheuses (que je ne pouvais qu’imaginer, n’ayant jamais pêché en hiver), encaban·é·e·s tout le jour comme s’ils et elles étaient seul·e·s au monde. Cette solitude extrême donnerait finalement le ton de l’amitié entre Lili et Ines : fusionnelle et coupée du monde. Durant les mois où j’ai écrit le texte, j’ai relu le poème plusieurs fois pour me replonger dans cet état d’esprit.

Ensuite, j’ai eu envie d’explorer l’écriture au nous, constante dans le recueil d’Annie. Les textes que j’avais écrits dans les mois, voire les années précédentes étaient tous au je. J’avais du mal à opter pour d’autres types de narration. Celle au nous me paraissait un beau compromis : pas aussi détachée que la narration au elle/il, elle ouvrait sur autre chose que l’intériorité presque absolue que j’explorais immanquablement. Il s’agissait en outre d’un défi intéressant : comment donner texture et profondeur à un personnage-narrateur qui ne dit jamais « je »? Je me suis tout de même permis des formulations qui utilisent le moi lorsque les phrases au nous ne permettaient pas de faire avancer le récit – il me semblait aussi que de m’y limiter aurait rendu l’écriture monotone; mais le je demeurait strictement interdit.

Ines

En parallèle, je faisais des recherches à propos de la pêche sur glace et j’ai trouvé un article qui parlait d’une activité de pêche blanche destinée à l’accueil des personnes immigrantes et réfugiées arrivées depuis peu à Rimouski. L’idée que le personnage ait pu venir d’un autre pays a ainsi fait son chemin. Je me suis mise à chercher des prénoms plus rares au Québec, à consonance non francophone. J’ai trouvé « Ines », qui m’a tout de suite plu par le nombre important de joueuses de soccer ainsi prénommées que j’ai trouvées (il s’agit d’un sport que j’aime particulièrement pratiquer). Différentes variantes de ce prénom apparaissent dans plusieurs cultures, mais il semble particulièrement populaire dans certains pays du Maghreb. C’est donc cette région du monde que j’ai choisie comme lieu de naissance d’Ines qui, tout comme Lili, est arrivée jeune au Bas-Saint-Laurent avec ses parents. Il s’agit d’ailleurs d’un point en commun qui participe de la construction de leur amitié.

Je ressentais cependant une certaine gêne : je ne savais pas comment aborder un tel personnage. Je me sentais mal à l’aise avec une narration au je pour dépeindre une expérience que je n’étais pas certaine de saisir entièrement. Utiliser le elle me semblait en revanche présenter, par la distance que cela aurait mis entre moi et le personnage, le risque de tomber dans le stéréotype et l’objectification. Le nous s’est donc présenté comme une manière de me coller au plus près d’Ines, sans pour autant la noyer dans un je qui aurait trop ressemblé à celui que j’utilise la plupart du temps (souvent très proche du mien). Ainsi, j’espère avoir été capable de faire en sorte qu’Ines prenne réellement la parole pour elle-même.

– Valérie Provost

ŒUVRES CITÉES

Landreville, Annie, Date de péremption, Montréal, Les Éditions de La Grenouillère, 2019.

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« Dire adieu » : Remercier les lieux

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

J’ai hésité longtemps pour ma finale : la protagoniste dirait-elle « adieu » à la maison de ses parents désormais vide? Ou dirait-elle plutôt « merci »?

Les lieux, dans notre projet, sont d’une importance capitale. Rien d’étonnant à cela, considérant qu’ils constituent notre contrainte principale. Mais ce qu’on remarque, maintenant que plus de la moitié des textes sont écrits, c’est que la Pointe-aux-Anglais n’est pas seulement omniprésente, mais est aussi à plusieurs reprises représentée comme un refuge, un espace ouvert et accueillant où fuir une famille dysfonctionnelle ou une maison où l’on étouffe.

Or, c’est contre cette idée que j’ai eu envie d’inscrire mon texte. Non pas parce que j’étais en désaccord avec l’idée d’une Pointe-refuge – j’ai moi-même contribué à cette tendance avec ma première nouvelle. Mais parce que je voulais montrer autre chose.

J’ai eu envie d’écrire une maisonnée heureuse, qui ne rejette personne, mais surtout de tracer les contours d’un endroit où l’on désire toujours revenir, une maison qui s’allie symboliquement avec le vent et l’odeur de la Pointe, ne fait qu’un avec elle dans l’esprit du personnage, plutôt que de s’opposer à elle.

Dans la nouvelle, la femme qui revient de la ville pense la mer en même temps qu’elle pense sa maison, comme si le Bic ‒ et la Pointe avec lui ‒ ne constituait pas un espace distinct mais une immense cour arrière. Tout est amalgamé, pour elle : le paysage, la maison, la famille. En remerciant la maison, elle remercie le village; en lui disant adieu, elle accepte un peu plus le départ de ses parents.

Dans ce texte, on ne fuit pas la maison pour aller vers la Pointe. On fuit tout le reste pour venir vers l’ensemble, et c’est l’ensemble, chez soi.

Aussi plus j’y pense, plus j’arrive à la même réponse : prendre le temps de dire adieu, vraiment prendre le temps, n’est-ce pas, finalement, une autre façon de dire merci?

– Joanie Lemieux