Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.
Il arrive parfois qu’un moteur d’écriture, un déclencheur – autrement dit, une idée « utile » à l’écriture – finisse par devenir encombrant, en cours de création. C’est ce qui est arrivé avec l’image de Régine qui voulait photographier le vent, tirée d’un texte de Camille; une image qui m’avait aidée à trouver le nœud de ma nouvelle, mais qui s’est avéré un frein à la compréhension.
Lorsque j’avais décidé que ma narratrice allait aussi tenter de photographier le vent, je m’étais posé la question : pourquoi un tel projet? La réponse qui avait émergé, c’était qu’elle essayait de fixer, sur pellicule, l’absence récente de ses parents décédés – une absence qu’elle retrouvait partout dans l’album, qui ne comportait aucune photo d’eux. Au fond, le vent devenait une sorte de métaphore de leur départ, de leur disparition. Cela s’est traduit, dans le premier jet de mon texte, par cette phrase finale : « Avec la dernière pose, immortaliser le vent de la Pointe. »
Lorsque j’ai lu les commentaires de ma collègue Joanie à propos de cette première version, j’ai bien vu qu’il y avait confusion. Le lien entre les parents et le vent n’était pas clair. J’ai cru que le problème se situait en amont; que j’avais mal « préparé » la dernière image. J’ai modifié le texte, j’en ai fait une, deux, trois, quatre nouvelles versions avant de trouver quelque chose qui semblait fonctionner – toujours en conservant la phrase finale. Mais quand Joanie a commenté à nouveau mon texte et qu’elle m’a fait remarquer que la même confusion persistait, j’ai compris qu’en fait, c’était cette phrase, le problème.
A posteriori, je le vois bien. La phrase, au fond, était séduisante; l’image qu’elle convoquait, qui s’était imprimée en moi à la lecture du texte de Camille, était belle. Seulement, elle était détachée du récit que je faisais. Le lien n’existait que dans ma tête. Pourtant, lorsque j’étais dans l’écriture, complètement immergée dans mon texte, je m’accrochais à cette phrase. Je ne sais pas exactement pourquoi. Peut-être parce qu’elle me paraissait d’une telle évidence que je ne pensais pas qu’on ait pu la mettre en question. Peut-être parce que je l’aimais, tout simplement, et que je ne voulais pas m’en départir. Peut-être les deux.
Peu importe, au fond. J’ai compris, j’ai changé la fin – mais après combien de tâtonnements!
Dans son troisième commentaire de mon texte, Joanie m’a confirmé que cette fois, ça y était presque. Elle m’a fait une suggestion qui m’a plu, et je m’en suis servi pour reconstruire la phrase qui clôt maintenant ma nouvelle.
La solitude de l’écriture
Dire que l’écriture est un exercice de solitude relève presque du cliché. De plus, même si cette affirmation comporte une certaine part de vérité, des projets de création comme celui que nous menons au BREF tendent à la faire mentir.
Bien entendu, il n’est pas rare qu’en tant qu’écriv·ain·e, nous recourrions au regard d’un premier lecteur ou d’une première lectrice. Par contre, rares sont les occasions où cette personne est autant immergée que nous dans le projet; où les commentaires qu’elle fera sur notre texte auront, éventuellement, des répercussions sur ceux qu’elle écrira elle-même plus tard. Rares aussi sont les occasions de « contamination » mutuelle (du moins, à cette échelle) entre des textes et, même, entre des univers. Cette influence de mes collègues du BREF, je la perçois à chaque étape du processus de création : lorsque je cherche une nouvelle idée pour un texte, lorsque je me demande comment la raccrocher à notre projet, lorsque je retravaille le texte à l’aune de leurs commentaires. Et cela sera d’autant plus palpable lorsque nous nous rencontrerons toutes les trois, une fois l’écriture terminée, pour discuter de la mise en recueil, et en particulier des modifications à effectuer dans certains textes pour assurer une cohérence d’ensemble. Au final, lorsque je relirai chacun de mes textes, je saurai que je ne les aurai pas écrits seule. Et qu’en chacun d’eux, même si cela passe inaperçu, se trouvent les traces de la présence de Camille et Joanie.
– Valérie Provost