Carnets poïétiques - Ce que je sais des berges

« Banquise » – Écrire au nous

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Quand j’ai commencé l’écriture de ce texte, je lisais le recueil de notre collègue Annie Landreville, Date de péremption. Le livre au complet m’a happée, mais un poème en particulier m’a émue, et plus précisément les deux derniers vers :

« il n’y aura plus personne
pour savoir que nous ne sommes plus là »

Si le nous du poème a une portée beaucoup plus large que celle de mon texte, sa lecture a tout de même constitué un point important dans mon processus d’écriture.

D’abord, l’anéantissement qu’évoque le poème d’Annie (celui de l’humanité, du monde tel qu’on le connaît) fait en effet surgir en moi des impressions similaires à celles qui se sont imposées lorsque j’ai commencé à penser à la pêche sur glace au Bic. L’amoncellement des cabanes dans le paysage glacé de la baie, sans personne autour qui marche ou qui pêche à l’extérieur, me donnait immanquablement un sentiment de fin du monde, que ce soit lors de mon passage en voiture ou lorsque j’ai étudié des photos (notamment celle prise par notre collègue Françoise Picard-Cloutier, que l’on peut voir dans mon billet précédent). Ce néant, me semblait-il, pouvait se rapprocher de l’expérience des pêcheurs et pêcheuses (que je ne pouvais qu’imaginer, n’ayant jamais pêché en hiver), encaban·é·e·s tout le jour comme s’ils et elles étaient seul·e·s au monde. Cette solitude extrême donnerait finalement le ton de l’amitié entre Lili et Ines : fusionnelle et coupée du monde. Durant les mois où j’ai écrit le texte, j’ai relu le poème plusieurs fois pour me replonger dans cet état d’esprit.

Ensuite, j’ai eu envie d’explorer l’écriture au nous, constante dans le recueil d’Annie. Les textes que j’avais écrits dans les mois, voire les années précédentes étaient tous au je. J’avais du mal à opter pour d’autres types de narration. Celle au nous me paraissait un beau compromis : pas aussi détachée que la narration au elle/il, elle ouvrait sur autre chose que l’intériorité presque absolue que j’explorais immanquablement. Il s’agissait en outre d’un défi intéressant : comment donner texture et profondeur à un personnage-narrateur qui ne dit jamais « je »? Je me suis tout de même permis des formulations qui utilisent le moi lorsque les phrases au nous ne permettaient pas de faire avancer le récit – il me semblait aussi que de m’y limiter aurait rendu l’écriture monotone; mais le je demeurait strictement interdit.

Ines

En parallèle, je faisais des recherches à propos de la pêche sur glace et j’ai trouvé un article qui parlait d’une activité de pêche blanche destinée à l’accueil des personnes immigrantes et réfugiées arrivées depuis peu à Rimouski. L’idée que le personnage ait pu venir d’un autre pays a ainsi fait son chemin. Je me suis mise à chercher des prénoms plus rares au Québec, à consonance non francophone. J’ai trouvé « Ines », qui m’a tout de suite plu par le nombre important de joueuses de soccer ainsi prénommées que j’ai trouvées (il s’agit d’un sport que j’aime particulièrement pratiquer). Différentes variantes de ce prénom apparaissent dans plusieurs cultures, mais il semble particulièrement populaire dans certains pays du Maghreb. C’est donc cette région du monde que j’ai choisie comme lieu de naissance d’Ines qui, tout comme Lili, est arrivée jeune au Bas-Saint-Laurent avec ses parents. Il s’agit d’ailleurs d’un point en commun qui participe de la construction de leur amitié.

Je ressentais cependant une certaine gêne : je ne savais pas comment aborder un tel personnage. Je me sentais mal à l’aise avec une narration au je pour dépeindre une expérience que je n’étais pas certaine de saisir entièrement. Utiliser le elle me semblait en revanche présenter, par la distance que cela aurait mis entre moi et le personnage, le risque de tomber dans le stéréotype et l’objectification. Le nous s’est donc présenté comme une manière de me coller au plus près d’Ines, sans pour autant la noyer dans un je qui aurait trop ressemblé à celui que j’utilise la plupart du temps (souvent très proche du mien). Ainsi, j’espère avoir été capable de faire en sorte qu’Ines prenne réellement la parole pour elle-même.

– Valérie Provost

ŒUVRES CITÉES

Landreville, Annie, Date de péremption, Montréal, Les Éditions de La Grenouillère, 2019.

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« Dire adieu » – Micronouvelle, prise deux

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

J’ai déjà parlé sur ce blog de l’engagement que nous avons pris, les autres autrices du recueil et moi-même, de tenter l’écriture d’au moins une nouvelle très courte (autour de 300 mots) et une nouvelle plus longue (autour de 3000 mots) chacune, ceci dans le but de varier les rythmes et, surtout, d’éviter que toutes les nouvelles d’une certaine longueur soient de la même main.

Ayant l’habitude de faire des textes plutôt long (long pour des nouvelles, on s’entend), c’est l’extrême brièveté qui est, pour moi, le réel défi.

J’avais déjà tenté, avec ma nouvelle « Dans la peau » (qui était ma quatrième), de faire très court. Certes, pour moi, 700 mots, c’était déjà court; mais j’étais encore bien loin des 300 mots visés. Je savais donc qu’il me faudrait encore tenter le coup d’ici la fin du projet. Les chantiers de nouvelles que j’avais entre les mains, toutefois, s’annonçaient beaucoup, beaucoup plus longs que ça…

C’est là que l’opportunité s’est présentée à moi sans que je la cherche : dans le cadre du Salon du livre, l’option Création littéraire du programme d’Arts et lettres du cégep de Rimouski a lancé un concours de micro-fictions. Ouvert pour six jours seulement, le jury appelait des textes de 200 mots maximum, autour du thème « Juste un dernier ».

J’avais, dans mes tiroirs, une première phrase qui convenait. Je l’ai utilisée, même si je savais qu’elle ne resterait sans doute pas. J’ai écrit une première version : pour un texte écrit aussi vite, ça n’était pas mal. Mais c’était long. Beaucoup plus que les 200 mots permis.

J’ai donc travaillé à couper, mais surtout, à densifier le texte, pour dire le plus de choses possibles dans ces 200 mots.

Quand je n’ai plus été capable d’enlever quoi que ce soit, j’ai envoyé mon texte au concours. Et belle surprise : on m’a décerné la seconde place.

Le texte envoyé, toutefois, ne pouvait pas se retrouver dans le recueil du BREF. Par soucis de concision extrême, il avait été amputé de toute mention au Bic, ou presque. Les lieux y étaient importants, mais ils étaient un peu flous : ils auraient pu être situés n’importe où. Le travail post-concours a donc consisté à remettre dans mon texte des passages et des idées supprimées plus tôt, à ramener le Bic temporairement effacé, sans pour autant revenir à une version antérieure telle quelle; le travail de densification demeurait pertinent, et certaines idées nouvelles, certaines formulations heureuses, étaient apparues en court de route.

La version finale est donc une sorte d’hybride entre la version initiale et une version ultérieure, qui fait, pour le moment, 388 mots.

Cette fois, je considère que j’ai réussi mon défi.

– Joanie Lemieux

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« Dans la peau » – Une incision précise

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Il y a longtemps – plusieurs années, en vérité – que je traînais cette idée : une jeune fille est au bord d’un lac et d’autres adolescents, pour la tourmenter, ouvrent devant elle une grenouille pour en sortir les entrailles.

Dans ma tête, deux éléments étaient clairs : la fille était sensible à la vie animale;  l’intention des autres adolescents étaient uniquement de la troubler.

L’âge des protagonistes, les relations entre les personnages, le lieu exact, les événements qui menaient à cette scène : tout cela était flou et ne faisaient pas partie de ce que « je traînais ».

J’en ai parlé à plusieurs reprises sur ce blog, j’ai souvent en tête des éléments pendant plusieurs années avant de trouver à les mettre en mots. Ce peut être un personnage, une scène, un sujet, voire une ambiance ou un rythme. Tout seul, cet élément me paraît largement insuffisant. Ça n’est pas une nouvelle encore. C’est juste une sorte de piste. Un morceau du casse-tête. À un moment, le reste du casse-tête se met en place. Je ne presse pas les choses. Rendue là, j’écris le texte.

Dès le début du projet du BREF, j’ai cru que je trouverais dans la Pointe-aux-Anglais un lieu où planter cette scène de grenouille pour qu’elle germe et prenne l’expansion d’une nouvelle. Mais les mois ont passé, mon tour d’écrire est venu trois fois, et j’ai toujours fini par faire autre chose. L’histoire ne prenait pas.

La protagoniste a d’abord été une ado, puis une enfant, avant de redevenir une ado. Les intimidateurs ont été tour à tour des camarades de classe, des cousins, un grand frère. Ils se retrouvaient sur le bord du lac par hasard, ou pour une fête familiale, ou pour faire un feu avec des amis. Dans une version précoce, la jeune adolescente était secrètement amoureuse d’un garçon qui avait pour seul défaut de se tenir en mauvaise compagnie…

Toutes ces idées auraient pu fonctionner, mais quand je l’écrivais… c’était plate. Vide. Fabriqué.

Puis, lors d’une réunion, nous avons discuté du fait que les toutes les collaboratrices n’écrivaient pas des textes longueurs similaires. Cet écart faisait en sorte que nous nous dirigions vers un recueil où, même avec un nombre de nouvelles identique, certaines autrices occuperaient l’espace papier de façon disproportionnée. Face à notre désir d’unité globale du recueil, mais aussi sachant que nous voulions nous laisser la plus grande liberté individuelle possible (et donc ne pas nous imposer une taille de texte unique), nous nous sommes engagées à relever un défi qui nous sortirait de nos zones de confort tout en nous laissant choisir chacune de notre côté le meilleur moment pour le faire : chacune écrirait au moins une courte nouvelle, en visant 300 mots, et une beaucoup plus longue, en visant 3000.

Cet engagement est tombé à point. Au moment de me remettre à la table d’écriture, j’ai réalisé que ce qui ne fonctionnait pas dans ma nouvelle, c’était finalement tout ce qui entourait la scène cruciale : toute la nouvelle tenait dans cette scène, il ne servait à rien de tenter de donner plus de contexte. Loin des nouvelles où il faut de la chair autour de l’os, cette histoire nécessitait de laisser parler le moment précis, et seulement lui.

J’ai donc recommencé, en cherchant à entrer dans l’histoire au plus près possible des personnages, juste au moment important, pour en sortir aussi vite.

Dans sa version actuelle, mon texte fait 769 mots. Loin des 300 visés par le défi (qu’il faudra donc retenter une prochaine fois!). Mais il est plus court que toutes les versions auxquelles j’ai travaillées avant. Et cette fois, je crois qu’il fonctionne.

– Joanie Lemieux

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« Banquise » – Écrire l’hiver

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Durant l’une des rencontres régulières du BREF, nous avons passé en revue toutes les nouvelles que nous avions écrites jusque-là, et nous sommes rendu compte qu’aucune ne se déroulait en hiver. Comme je devais remettre mon texte moins de deux mois plus tard et que je n’avais, comme à mon habitude, aucune idée de ce que seraient son intrigue ou ses personnages, je me souviens avoir sauté sur celle-ci comme une affamée sur un morceau de pain : ma nouvelle se passerait en hiver.

Comme pour confirmer qu’il s’agissait d’une piste fertile, j’ai remarqué, alors que je retournais chez moi quelques semaines plus tard, à la suite d’un autre séjour à Rimouski (je l’ai déjà dit, je n’habite pas le Bas-Saint-Laurent), que la banquise qui s’était formée devant le Golf du Bic était parsemée de cabanes colorées servant à la pêche sur glace. Je ne savais pas que cette activité se pratiquait à cet endroit.

Au loin, des cabanes de pêche sur la banquise à la Pointe-aux-Anglais. Crédit photographique: Françoise Picard-Cloutier

J’avais maintenant la saison et le lieu précis de mon texte. Il me restait à savoir ce qui s’y passait.

À l’intérieur

Ce qui s’est imposé, dès le départ, c’est l’immobilité. L’hiver et la fixité des glaces, l’intérieur d’une cabane exigüe, la pêche et son inévitable attente : tout ceci évoque pour moi le silence et l’inaction. Mais ce n’est qu’en apparence. En réalité, en-dessous de la banquise, les marées continuent d’avoir lieu; et à l’intérieur des bâtiments, les gens poursuivent leur vie. Ma nouvelle se concentre donc sur ce qui reste caché, ce qui échappe au regard mais qui existe pourtant.

Je ne me souviens plus comment, mais le personnage de Lili m’est revenu en tête dès les premiers jours d’écriture. J’avais eu l’impression, avec l’écriture de « Water Lili », de ne l’avoir qu’effleuré – notamment, j’avais voulu lui construire une vie à l’extérieur de la Pointe, avec des activités et des relations, mais ce n’est pas là que le texte m’avait finalement menée. Probablement aussi que le projet d’écriture que je menais maintenant en parallèle, dans le cadre de ma thèse, a contribué à raviver la présence de ce personnage dans mon esprit. Je revisitais alors mon adolescence et plus particulièrement un élément central de cette période de ma vie : l’amitié. À l’aide de mes journaux et de mes albums, je me rappelais les amies que j’avais eues et perdues, les drames qui s’étaient joués autour des alliances et des abandons.

Dans l’écriture de « Banquise », c’est cependant une dimension bien spéciale de ces relations qui a commencé à se dessiner : le secret. L’adolescence, pour moi, avait été l’époque des journaux intimes, mais aussi des lettres écrites en cachette pendant les cours ou dans la tranquillité d’une chambre, que l’on pliait d’une manière précise pour qu’elles ne s’ouvrent pas facilement, et sur lesquelles on écrivait parfois « TOP SECRET » en grosses lettres. Un jour, les garçons du groupe avaient trouvé l’endroit où ma best cachait celles que je lui avais offertes et avaient lu devant tout le monde les confidences que je lui faisais.

Un exemple des lettres que mes amies et moi nous écrivions. Celle-ci n’avait jamais été remise, je l’ai retrouvée dans l’un de mes journaux intimes.

Replongée dans cette ambiance, j’ai commencé à bâtir pour Lili une amitié forte mais discrète avec Ines. De celles qui excluent les autres, qui s’épanouissent dans l’intimité, à l’abri du monde. La cabane de pêche est ainsi devenue un de leurs refuges.

Les secrets de la Pointe

Si l’amitié de Lili et Ines évolue dans le secret, ainsi en est-il de plusieurs des récits que nous avons écrits jusqu’à présent. Les personnages y sont presque toujours seuls, et on les suit souvent la nuit, alors qu’ils sont invisibles au reste du monde et qu’ils vivent des événements généralement insolites, voire indicibles. La Pointe-aux-Anglais, me semble-t-il, éveille chez nous un imaginaire qui a affaire avec le mystère. Dans notre œuvre en devenir, elle est remplie de secrets.

Le texte que j’avais écrit avant celui-ci ne fait pas exception : « À marée haute » se déroule en effet en partie la nuit, en partie dans la cave d’une des maisons, et met en scène un personnage solitaire. Je l’avais de plus voulu semblable à un spectre; c’est d’ailleurs peut-être précisément pour cette raison qu’il avait semblé m’échapper tout au long de l’écriture. Le fantôme de la Pointe était un mystère, même pour moi. Je crois qu’il me hantait encore, car l’histoire d’Ines et Lili a lentement glissé de vers la sienne, jusqu’à la croiser. J’ai pensé qu’ensemble, elles pourraient jeter un peu de lumière sur un des secrets de la Pointe.

– Valérie Provost

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« La ménagerie de roc » – De la genèse des personnages

Vous pouvez consulter le résumé de la nouvelle ici.

Cette fois, je savais d’emblée quelle serait la trame sonore du texte à écrire : la chanson Suzanne, dans toutes les versions que je pourrais trouver. Celle de Leonard Cohen, bien sûr. Mais aussi celles de Jorane, de Peter Gabriel, de Nina Simone, d’Alain Bashung et de Tori Amos – la plus aérienne, celle qui convenait sans doute le mieux au personnage qui m’habitait et à l’univers que je souhaitais créer.

Un personnage qui s’apparenterait à cette Suzanne de la chanson de Cohen, clairement. Mais aussi à Laura, fragile silhouette collectionnant les animaux miniatures, dans La ménagerie de verre, de Tenessee Williams, une pièce que j’avais vue jadis, en 1991, dans le cadre d’un cours de théâtre de mon baccalauréat en études françaises à l’UQTR, et dont le personnage de Laura était alors joué par Anne Dorval. 

Un personnage qui resterait dans les marges du réel. Parce que ce genre de protagoniste m’interpelle, et parce que le thème de la folie m’a toujours fascinée.

Un personnage qui ne pourrait logiquement pas vivre seule. 

Un personnage aérien. Qui flotterait. Ou presque. Comme si elle parcourait le monde à dos de libellule. 

Qui serait donc la narratrice ? Une infirmière ? Sa mère ? Quelqu’un d’autre de sa famille ?

Rapidement, l’idée d’écrire sur l’amour inconditionnel d’une sœur s’est imposée avec le ton de la nouvelle, un ton épuré, mêlé de lucidité et de rationalité – ce qui permettrait de rapporter les lubies de Régine comme des constats ou des faits –  doublé d’un étonnement perpétuel de grande sœur dévouée. Comme j’avais besoin d’un bateau, à la fin, elle est vite devenue une scientifique de l’ISMER capable d’identifier les algues. Un piège. Les algues se sont mises à pulluler dans mon texte, traînant dans leur sillage des lourdeurs liées à des précisions excessives, comme ces chordarias flagelliformis qui se sont faufilées dans la narration et qui ont causé des ruptures de ton et de rythme. Ma sœur Rosaline, première lectrice critique éternelle, violoniste-mandoliniste qui me relit avec son oreille musicale, n’a pas manqué de me le reprocher. Avec raison, d’ailleurs.

https://www.inaturalist.org/guide_taxa/767009

Chercher l’équilibre. Ne jamais perdre de vue le style imposé par l’incipit.

Restait à trouver le conflit qui générerait la tension du texte.

Relire « Tomber », la nouvelle de Joanie, m’a vite permis de trouver la solution. L’écriture en résonnance avec « Tomber » s’est avérée le déclencheur qui a permis à la trame narrative de « La ménagerie de roc » de décoller véritablement. Régine voulait participer au film, dont le tournage à la Pointe devait se terminer avant qu’elle ne verbalise son souhait. Régine voulait tomber elle aussi – et elle y tenait. Du coup, les négociations avec le cinéaste et la scène finale sur la plate-forme me donnaient les scènes manquantes et la structure du texte.

Le fiancé de Régine, ce Don Quichote de bois flotté créé par Romjy Romjy à la Pointe-aux-Anglais et photographié par Françoise lors d’une sortie géopoétique, s’est naturellement invité dans l’univers du personnage :

Oeuvre de Romjy Romjy. Crédit photo : Françoise Picard-Cloutier.

« Régine a d’abord souhaité […] présenter sa ménagerie de roc [au cinéaste]. 

Puis, elle s’est mise à raconter son invraisemblable histoire d’amour. 

J’ai voulu intervenir. 

D’un geste presque imperceptible, il m’a indiqué de me taire. 

J’aurais dû m’en douter : le cinéaste se moquait bien de ma glose et de mon titre. Il a tout de suite été fasciné par Régine. 

Ma sœur est un poème.

On avait dû lui parler d’elle, au village. 

Son fiancé est un géant de bois sec. Elle l’a rencontré sur la plage alors qu’elle était encore une anémone, dans l’eau glaciale de la baie. Il l’attendait, là, posé sur la grève, comme un immense insecte enrobé dans la lumière de l’aube. Un Don Quichotte inespéré qui lui a fait un bébé de varech, avant de se fondre dans le ressac. 

Leurs épousailles ont eu lieu entre l’ambre et l’ocre.

Voici nos enfants, a-t-elle confié, en lui tendant une grappe d’ascophylle. 

J’ai été éberluée. 

Le cinéaste n’a presque pas pris de notes. Dans son grand cahier à reliure de cuir, il n’a écrit que ces cinq mots : homme insecte et femme végétale. »

Le prénom du personnage, quant à lui, découlait des recherches sur l’ambre que j’avais dû faire lors de l’écriture d’une entrée précédente de ce blogue. De l’homme-insecte et de la femme-libellule à la résine qui compose l’ambre, il n’y avait qu’un pas, un rien, une lettre, pour arriver, par associations d’idées, au prénom Régine.

– Camille Deslauriers